« NOUS CROYONS À L'AVENIR DU LAIT EN CÔTE-D'OR »
SUR LES PETITES TERRES DU CHÂTILLONNAIS, FABIENNE, CHRISTOPHE ET THOMAS CROIENT À L'INTÉRÊT ÉCONOMIQUE ET À L'AVENIR DU LAIT. MAIS DANS LE CADRE DE GROS VOLUMES.
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A CHEVAL SUR LES PLATEAUX SÉCHANTS DU CHÂTILLONNAIS et les terres plus profondes de l'Auxois, le Gaec des 3 Communes a beaucoup évolué ces dernières années. Créé à partir de la ferme des parents de Fabienne et Christophe Lépy (85 ha et 300 taurillons laitiers en 1983), l'exploitation s'est développée par reprises successives : acquisition de terres avec et sans cheptel, intégration d'associés extérieurs dans le Gaec. Constitué en 1991 entre Fabienne, son mari, sa mère et un voisin, qui apportait 130 ha et 135 000 l, le Gaec des 3 Communes disposait alors de 280 ha et de 475 000 l de quota. Vingt et un ans plus tard, il s'étend sur dix-sept communes avec 561 ha et s'est spécialisé sur deux productions : le lait (1,2 Ml de quota) et les céréales (colza, blé, orge). « La surface s'est développée par la reprise de parcelles, pas forcément les meilleures ni les mieux placées, expliquent Christophe, Fabienne et son fils Thomas, les trois associés actuels du Gaec. Tout ce qui pouvait être labouré l'a été. Les anciens prés de la vallée ont été mis en maïs. Sur le plateau, une partie des prairies a été ressemée en luzerne, un fourrage associé au maïs épi dans l'alimentation des vaches. » De cette histoire complexe, marquée par le mélange de plusieurs troupeaux, émergent deux étapes majeures.
« LA STABULATION EST PASSÉE DE 100 À 175 PLACES »
La première, stratégique, a été la décision, en 1995, de délocaliser l'exploitation de Ménétreux-le-Pitois à Éringes, sur le plateau. En construisant un nouveau site sur 12 ha, à 100 m des premières habitations, les associés se sont donnés les moyens de se développer sans être bloqués. « Nous ne pouvions pas continuer à travailler dans de très vieux bâtiments, avec une salle de traite 2 x 4 sans décrochage, et du lisier qui partait dans le ruisseau », explique Fabienne.
Anticipant la mise aux normes, la famille Lépy-Mauget a préféré investir dans une stabulation neuve à logettes, paillée et à aire raclée (100 places avec une TPA 2 x 8). Agrandie cet hiver et passée au tout-lisier, elle dispose, depuis trois mois, de 175 places de logettes et cornadis. Les vaches vêlent sur une aire paillée à quelques centaines de mètres de là, dans un bâtiment initialement prévu pour les taurillons. Elles sont ensuite remontées à la stabulation avec leurs veaux.
Une fois sevrées, les génisses sont emmenées sur le site de Villeberny, à 22 km de là. Acquis en 2008, il est doté d'un bâtiment de 2 000 m2, fonctionnel et aux normes, qui abrite aussi une partie du fourrage. La reprise de ce second site d'exploitation (200 ha, dont 100 ha de prés) et du troupeau mixte qui allait avec (238 000 l de quota et 48 primes pour les vaches allaitantes) a été réalisée dans le cadre de l'installation de Thomas. « Un grand saut » que les éleveurs finissent tout juste de « digérer ». « Alors que nous pensions pouvoir transformer directement les PMTVA en références laitières, nous avons appris qu'il nous faudrait attendre trois ans, se souvient Fabienne. Heureusement, une dérogation nous a permis d'accélérer le processus : nous n'avons gardé le troupeau de charolaises qu'un hiver, le temps de faire les vêlages. »
« DEPUIS 2009, AVEC 1,1 ML DE QUOTA, LA PRIORITÉ A ÉTÉ DE FAIRE DU LAIT »
Les six mois entre octobre 2008 et avril 2009 ont malgré tout été très durs : « Avec trois ateliers, nous courions partout. Villeberny était en forte zone de tuberculose. Il n'était pas question de mélanger les troupeaux. Nous avons donc choisi d'engraisser les 60 vaches simmentals et montbéliardes, de finir les génisses et de racheter des noires. » Thomas tenait à cette reprise : « Je ne voulais pas me contenter de reprendre les parts sociales d'une affaire déjà bien établie. Je voulais apporter quelque chose par moi-même. » Une tradition dans cette famille où l'esprit d'entreprise est encouragé. « À 21 ans, mon père m'a confié les céréales, se souvient Christophe. Au départ, j'ai trouvé ça lourd. Aujourd'hui, j'estime que cela m'a permis de mûrir plus vite et d'éviter, à 35 ans, d'être toujours le fils de papa. »
Avec l'acquisition de Villeberny, l'approche du lait a été bouleversée, tout comme l'assolement. La part du maïs a doublé, passant de 40 à 80 ha. « Avant 2008, mon frère et moi exploitions 360 ha avec un quota de 475 000 l, précise Fabienne. Conduit en système maïs-soja avec un peu de foin de luzerne, le troupeau, second de Côte-d'Or en Isu, était constitué de vaches à fort potentiel que je ne poussais pas pour ne pas avoir de souci. Je groupais les soixante vêlages sur deux mois. J'arrêtais les inséminations à partir de mi-décembre. »
À partir de 2009, avec une référence de 1,1 Ml, la priorité était de faire du lait. Les éleveurs ont laissé tomber les Isu et acheté des vaches « pas chères ». Malheureusement, elles ont fait chuter la moyenne laitière.
« LES VACHES ÉTAIENT TROP SOUVENT DEBOUT ET FATIGUÉES »
« Au lieu de 115 à 120 vaches à traire, nous nous sommes retrouvés avec 125 laitières, explique Thomas. En plus de la stabulation en logettes, nous disposions d'une aire paillée de 15 places que nous avons chargée au maximum. Mais cela n'a pas suffi. » Avec des vaches serrées, trop souvent debout et fatiguées, les problèmes n'ont pas tardé. La moyenne cellulaire est montée à 600 000. Les pertes s'accumulaient : une vingtaine de vaches réformées pour cellules la première année, une vingtaine la deuxième pour cause de non-remplissage. Début 2010, Fabienne, désemparée et qui s'occupait encore beaucoup du troupeau laitier, a lancé un véritable SOS. « J'ai demandé à Edwige Bornot, la vétérinaire, de venir assister à une traite. » Avec elle, un plan cellules a été mis en place. Malgré les contraintes qu'il engendrait, il a été appliqué à 100 %. Parmi les préconisations figuraient la pose d'un fil après la traite pour éviter que les vaches ne retournent immédiatement dans leurs logettes, la priorité au lot des fraîches vêlées en salle de traite, le changement de manchons des faisceaux trayeurs plus fréquent (deux fois par an au lieu d'une), et la décontamination des griffes au peroxyde d'hydrogène (comme sur les robots) entre chaque passage de vaches. Les résultats ont suivi rapidement. « En deux mois, on est tombé à 300 000 puis à 200 000 cellules », précise Thomas.
« L'ALIMENTATION N'ÉTAIT PAS DU TOUT ADAPTÉE »
Un antibiogramme a confirmé que le traitement antimammites utilisé au tarissement n'était pas adapté. En changeant d'antibiotique et en ramenant de l'hygiène en salle de traite, le taux de guérison des vaches à mammites s'est amélioré : de 0, il s'établit aujourd'hui à 75 %. La relation de confiance qui s'est établie entre les éleveurs et la vétérinaire a permis d'aller plus loin dans le suivi du troupeau. À l'époque, Thomas commençait à inséminer lui-même une partie de ses vaches. Il n'était pas satisfait de ses résultats (45 % de réussites en première IA) et s'interrogeait sur sa technique de pose. Or, ce n'était pas cette dernière, mais le troupeau qui était la cause du problème. « Dans l'élevage, on trouvait des vaches avancées en lactation mais pas inséminées, avec beaucoup de métrites. L'alimentation n'était pas adaptée, se souvient Edwige Bornot. Les vaches étaient en subacidose. Faute d'une ingestion suffisante et d'une ration assez riche en énergie, elles perdaient trop d'état en début de lactation. » « Pour faire du lait, nous avions poussé les vaches, mis beaucoup de maïs, récolté trop humide d'ailleurs, et plus de concentrés, sans aller assez vite sur la luzerne, confirme Thomas. Nous l'avons ressenti sur la reproduction. »
Un suivi de reproduction a alors été instauré. Progressivement, les choses ont été recalées. « Nous avons fait reprendre de l'état au troupeau avec l'épi de maïs, et nous avons ramené de la fibre avec la luzerne. »
Cet hiver, la ration mélangée, distribuée aux fraîches vêlées, titrait 115 g de PDI/kg de MS et 95 UFL. En MS, elle se composait de 5 kg de luzerne (2 kg de foin et 3 kg d'ensilage), 12 kg de maïs (5 kg d'épis et 7 kg d'ensilage), 1 kg de paille de blé, 1 kg de pulpes, 1 kg de maïs grain, 1 kg de triticale, 4 kg de tourteaux (moitié soja, moitié colza), du sel (0,05), des minéraux (0,2) et du bicarbonate (0,1). Les plus fortes productrices recevaient au Dac d'occasion, 1 kg de VL simple. Une plus grande attention est portée à la qualité des fourrages récoltés. La ration, dont le coût actuel est chiffré à 120 €/1 000 l, dont 0,65 € en concentré (0,85 € pour les fraîches vêlées, 0,30 € pour les plus vieilles), est réajustée régulièrement selon les observations sur le troupeau et l'évolution (TB, TP et urée).
« AVANT DE CHERCHER LE LAIT, IL FAUT DES VACHES EN ÉTAT »
Sur le tarissement, un gros travail a été engagé. « Autrefois, nous donnions le refus des vaches. C'était pratique. Mais, dedans, il y avait de la luzerne et du carbonate, ce qui donnait une Baca positive. » Les taries sont désormais conduites en deux lots. En phase de préparation au vêlage, elles reçoivent 10 kg de maïs brut, 1 kg de soja, 1 kg de colza, 1 kg de maïs grain, 0,5 kg d'orge et de triticale, du minéral et de la paille à volonté.
Bien que les chiffres des derniers suivis de reproduction ne reflètent qu'imparfaitement les évolutions en cours, Thomas observe que la fertilité s'améliore et que le lait progresse. Depuis la mise en service de l'extension du bâtiment et avec une alimentation sécurisée, les taux de réussite à l'IA1 sont passés à 55 % sur les vaches et à 85 % sur les génisses.
« Le troupeau n'est pas encore exemplaire, mais il y a une dynamique positive, remarque Edwige Bornot. Thomas, très humble, est prêt à entendre qu'il y a des choses à améliorer. Bien que sans formation initiale “productions animales”, il avance à une vitesse considérable. » « Avant de chercher le lait, j'ai compris qu'il fallait veiller à avoir des vaches en état, une alimentation adaptée de qualité et des bonnes pattes, commente Thomas. C'est sur ce point que je concentre désormais mes efforts. En améliorant les pattes, nous allons gagner dix points en réussite en IA1. »
Très volontaire, Thomas s'est mis au parage.
Après l'évolution rapide de ces dernières années, les associés pourraient récolter les fruits de leur travail et faire une pause. Pour alléger leur charge de travail, ils ont d'ailleurs recruté une jeune femme. En assurant désormais la traite le soir et un week-end sur deux, son embauche a réduit fortement l'astreinte liée à la traite.
« UN BON QUOTA POUR LA RÉGION, MAIS MOYEN POUR L'EUROPE DU NORD »
Néanmoins, les associés s'interrogent. « Mon fils a 8 ans, qu'allons-nous lui transmettre ?, s'interroge Christophe. Pour la région, nous disposons d'un bon quota, mais au regard des pays de l'Europe du Nord, il n'est que moyen. » « Demain, avec un prix des céréales mondial et un prix du lait européen, les exploitations intermédiaires risquent d'être mal placées, renchérit Fabienne. Ici, contrairement à d'autres pays, nous avons la chance d'avoir de la surface. C'est un atout. » Tout comme la perspective d'être à quelques kilomètres d'un dépôt de la laiterie Senoble et donc d'être serein vis-à-vis de l'avenir de la collecte. Entrepreneurs dans l'âme, les trois associés pourraient ne pas en rester là.
ANNE BRÉHIER
Les laitières sont conduites en deux lots : à droite les fraîches vêlées, à gauche les plus vieilles. Le passage d'un lot à l'autre tient compte de leur état corporel.
L'ensileuse automotrice permet de faucher et de rentrer la luzerne dans les conditions optimales à 35 % de MS (sans conservateur). La machine est aussi utilisée pour la récolte du maïs épi.
Thomas a commencé à inséminer il y a deux ans. Ici, en effet, l'inséminateur ne passe qu'une fois par jour. Le planning d'accouplement est réalisé par le jeune éleveur à partir du site de Prim'holstein France.
Située en bout de bâtiment et couverte, la fosse a été agrandie début 2011 et dimensionnée pour 220 vaches. Dans les logettes, des tapis ont remplacé la paille. Pour le nettoyage des couloirs d'exercice, le racleur en V d'origine a été conservé.
Avec une ration mélangée et sécurisée à base de luzerne et de maïs, Thomas aimerait monter à 9 000 kg/VL « en poussant les vaches intelligemment et avec un minimum de VL ».
Dans le cadre du suivi de la reproduction, Edwige Bornot intervient tous les quinze jours en pic de vêlage, puis toutes les trois à quatre semaines. « Nous en profitons pour faire le tour du troupeau, regarder l'état des bouses, filtrer l'alimentation et observer les taux. C'est très formateur. »
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